« Il s'agit d'aborder l'Histoire sensuelle de cette usine... d'investir intensément le lieu, de faire entendre sa poésie, son âme... » A.Tarnagda.


Paroles d'Ouvriers



Entretien avec E.C et A.C (couple d'ouvriers)
On est venu ici en 1963, on était marié et on avait notre fils qui avait 3 ans. Ma soeur était cuisinière chez Lacroix, chez la patron. Elle savait faire à manger!
On habitait une ferme mais elle a pris feu, nous sommes restés avec le père de mon mari.
Les propriétaires nous ont dit qu'ils nous laisseraient pas tomber et ils nous ont fait embaucher à Lacroix.
On était italien, on s'entendait parfois dire qu'on était des macaronis.
On faisait des:
Ramette pour machine écrire (plusieurs formats)
Grand papier pour les bibles (papier épais : 30 kgs au moins)
Papiers pour emballer pour les chaussures (la poudre couleur s'en allait, c'était de la poussière, on s'en foutait partout, après, ils ont changé)
Mon mari a commencé en 1963, et moi le 5 mars 1965.
Au début, on (mari) faisait du papier à cigarettes, j'étais comme patron, j'étais manoeuvre quoi...à la machine 9, elle n'y ait plus, elle a été détruite. "Ils fallaient qu'ils aient de bonnes machines car la Machine 9, elle était en ciment armé, ils l'ont raclé ça comme si c'était de la poussière.J'ai régardé mais je me suis pas approchée. Quand j'y passe, ça me fait de la peine".
Ils ont massacré pas mal de bâtiments.
Mari : Je faisais les 3/8. Il faut charger les piles (gros rouleaux de 600 kgs), on avait quand même des transpalettes pour les porter. On le faisait 2 ou 3 fois dans les 8 heures. Il fallait les chercher au 3ème étage par le monte charge. Je m'y suis pris dedans un jour, je n'y suis plus remonté. Peut-être c'était le poids qui le détraquait?
C'était pas trop dangereux, ils avaient les souliers avec le truc devant. Les salopettes ils nous les donnaient.
On était plutôt les pieds dans l'eau quand ça coulait. Le lin, il n'était pas toujours sec.
Femme : J'ai commencé par faire le ménage, je connais les bureaux par coeur. Après, j'alternais avec ménage et salle d'empaquetage. Après, je suis tombée enceinte, donc ils m'ont enlevé du ménage, c'était trop pénible. Je suis revenue au bout de 2 mois, à l'époque, on reprenait au bout de 2 mois. Comme j'allais assez vite pour emballer les ramettes, ils m'ont mis directement à la salle d'emballage.
Puis, je suis allée pour finir ma carrière à la NUCE après qu'ils aient fermé la salle d'emballage suite à la fermeture de la machine 9.
Quand lui partait à 4h, moi, je partais à 7h...on se croisait même pas...on faisait 48h/semaine. Je suis allée même défois le dimanche parce que ça pressait (c'était payé le double).
Maintenant on est tranquille mais avant on faisait la course contre la montre.
Mais je vais vous dire, il y avat une ambiance extraordinaire. J'ai une dame qui a acheté aussi ici (quartier ouvrier), on a travaillé 15 ans ensemble, on se faisait des parties de rigolade.
Après, ça existait plus. Faut dire que les jeunes, ils sont jaloux, c'était pas la même jeunesse. C'était pas la même façon de voir le travail qu'on avait nous.
Là bas (à la NUCE : nouvelle usine de chaier), ils étaient comme chien et chat, et encore...
Avant, à la pause, quand y avait la fête, on apportait les croustades, quand y avait les petits, on apportait les bonbons. Parfois, on se faisait engueuler par le contremaitre parce qu'on prenait plus de pause.
Dans la salle, j'en ai gardé un bon souvenir. On avait pas des payes mirobolantes mais on avait des avantages (13ème mois, prime de vacances, colonies pour les enfants...)
On avait organisé la vie comme ça.
Depuis que je suis partie, je ne suis plus revenue.
Quand on habitait au village, on partait à pied. Quand on habitait ici, je partais à -10 à vélo avant que la sirène ne sonne.
Entre les gens, y avait un esprit sain maintenant entre les jeunes, c'est pas pareil.
On s'aidait les une au autres, vous savez, y avait un rendement à faire. Alors, si on avait un peu d'avance, quand on arrivait à notre compte, on en faisait pour le jour d'après. Ça dépendait le papier qu'on avait.
Y avait des controles le soir, on mettait notre numéro dans la ramette.
Un jour, il y a eu une réclamation, ramette pas bien faite. On a du montrer le ticket pour voir qui c'était.
J'aimais vraiment ce que je faisais.
On avait plusieurs emballage bleu, vert, beige, plusieur qualité. Quand on se trompait, on était bon pour recommencer. C'était pas un petit travail.
Dans l'ensemble, je ne regrette pas d'avoir travaillé. On avait l'amour de ce qu'on faisait.
Quand j'ai eu 55 ans, ils nous ont mis en pré-retraite. On avait des primes mais j'ai voulu continuer pour avoir la retraite complète.

(Mari) Alors comme j' étais plus âgé qu'elle, je suis parti avant, et ils avaient déjà arrêté cette saloperie de 9, enfin, c'est pas la machine qui est la faute. Soit disant qu'elle gagnait pas assez de sous, alors, ils l'ont arrêté.
Quand on a arrêté, vous savez ça fait drôle, bôdu, au début, on se croit en congé, moi (mari) je travaillais le jardin. C'est quand même une coupure, ça nous manquait le travail, la camaraderie, on parlait de tout entre nous (femme).
(Mari) Après la machine 9, je suis allée à la 2. C'était triste tout ça (la femme), ils en ont renvoyé.
On m'a mis aussi à l'emballage, ça j'aimais pas, c'était pas méchant mais j'aimais pas faire ça. Mais je l'ai fait, on ne m'a jamais rien dit, c'est que ça devait être bien fait.
On nous le faisait quand même gagner le pain, c'était pas du tout gateau.
Défois, on faisait du gros papier, quand ça cassait, il fallait monter 53 marches en courant, parce qu'autrement y avait un rouleau qui ramassait la pate et ça s'engouffrait tout ça...alors après, il fallait au moins 2 heures pour le débloquer alors que si on montait en haut le faire partir un peu, ça s'en allait...après, redescendre vite.
On était 6 dans l'équipe et le contremaitre.
A la 2, j'ai rejoins l'équipe qui était déjà en place.
Après, c'était la grande débandade. Ils avaient déjà commencé pour faire une autre machine ici. Ils l'ont même pas continué, ils avaient fait les fondations mais ils n'ont pas achevé.
On n'était pas en perte. Le chef de fabrication disait qu'on avait tout pour faire de l'or mais qu'ils ne savaient pas y faire.
A l'époque, il y avait un jardin dans l'Usine, avec des poules et des boeufs. C'était pour la cantine collective.
Le week end était prévu pour les taches ménagères.